Au carrefour des disciplines : Mark Oremland fondateur de Mundolingua, musée des langues, du langage
Idap a lancé il y a quelques mois une série d'entretiens "au carrefour des disciplines" pour aller à la rencontre de ceux qui sont des acteurs de l'interdisciplinarité au quotidien. L'objectif final sera de mutualiser les apports et les méthodes pour faciliter les projets interdisciplinaires. Mais en attendant de croiser les regards on vous livre petit à petit la teneur de ces passionnantes discussions*.
C’est un vendredi en fin d’après-midi de ce début de printemps que nous nous rendons au 10 Rue Servandoni, 75006 Paris, pour rencontrer Mark Oremland (1) fondateur de Mundolingua, musée des langues, du langage et de la linguistique. Deux chaises et une table dépliées au milieu de l’exposition, c’est Mark qui commence par poser pas mal de questions avant que nous entamions la discussion sur ce lieu un peu spécial.
Anciennement propriétaire d’une agence de voyages et d’un restaurant à Paris, pilote féru de défis, Mark Oremland nous présente son musée comme un objet atypique, fruit de l’envie de passer à autre chose. Il y a 20 ans, il a cherché un musée sur les langues, n’en a pas trouvé (2) et s’est donc dit « voilà quelque chose à faire que personne n’a encore fait ».
Il a suivi un master en sciences du langage pour concrétiser cette idée dont l’objectif premier est de vulgariser ce qu’est la linguistique auprès du grand public. Il s’agit de « faire sortir ce champ de recherche peu connu de sa tour d’ivoire pour que les gens comprennent pourquoi leurs impôts financent de tels travaux ».
Le musée, aménagé dans un local de 170 m2 au cœur du 6e arrondissement, est ainsi une sorte d’objet hybride de médiation. En plus des deux niveaux d’exposition (un plus « cérébral » et l’autre plus « sensitif ») il dispose d’un « mini-cinéma » et d’une collection de films de près ou de loin liés au sujet (on a par exemple donné notre avis sur le récent « The Arrival » (3)), et n’hésite pas à se transformer en espace de réception et de discussion. Que ce soit à l’occasion des soirées conférences organisées tous les troisièmes jeudis du mois ou bien plus régulièrement d’ateliers à destination des scolaires.
Entouré par de prestigieuses institutions (l’EHESS, l’Institut Catholique de Paris, plusieurs universités, SciencesPo., l’Alliance française, etc.) Mundolingua cherche à convaincre qu’un passage par son exposition peut devenir indispensable à tout bon apprentissage d’une langue.
Les langues
Les langues justement, elles sont pour Mark Oremland un sujet « fascinant », « tout le monde à chaque instant est concerné, partout ». « STOP : Imaginez un monde sans mots » propose un panneau à l’entrée du musée, invitant à une sorte de saut dans le passé préhistorique. Y-parvient-t-on ?
Au fil de la discussion on comprend que cet espace dépasse largement les questions d’une linguistique trop souvent réduite à l’étude d’une langue comme objet abstrait. On a ainsi parlé histoire en évoquant par exemple la manière dont, au travers du créole que parlent les habitants de l’Île de la Réunion on éclaire autrement les conquêtes européennes. On a parlé d’anthropologie : lointaine, quand un ethnologue cherche à comprendre comment la langue d’un peuple reflète et performe sa vision du monde (et par exemple comment il se situe dans l’espace) ; mais également de juste à côté quand des chercheurs étudient ce que l’argot dit de la vie de territoires franciliens. On a parlé de sciences cognitives et de neurologie, des mots que nous utilisons jusque dans notre sommeil.
Mark Oremland voulait un lieu pour fêter ça, pas simplement entre gens qui travaillent dans ce domaine mais pour le monde. D’ailleurs, il aimerait bien que les élèves qui viennent dans le cadre de visites scolaires ne soient pas simplement accompagnés par leurs professeurs d’anglais ou d’espagnol mais aussi par leurs enseignants d’histoire ou de sciences.
« Dès que l’on apprend une langue, dès que l'on commence à en comprendre le sens, on devient incapable de l’écouter simplement, comme de la musique »
La diversité pour elle-même
Un lieu pour fêter les langues mais surtout un lieu pour fêter la diversité linguistique qui est une richesse pour elle-même, à protéger. Quand on lui demande ce qu’il cherche à provoquer par le déploiement de cette richesse, le fondateur de Mundolingua répond qu’il espère qu’en découvrant ce qui est - selon le vocable de l’UNESCO – un patrimoine immatériel de l’humanité, les visiteurs éprouveront une certaine tristesse à voir que les langues disparaissent et chercheront à agir pour sa préservation. Il n’hésite pas à dresser un parallèle avec le site archéologique de Palmyre partiellement détruit en Syrie.
Mais attention, ce n’est pas en apprenant une langue qu’on la sauve, car une langue apprise ne sera jamais la langue transmise à ses enfants. La première étape à laquelle invite Mundolingua, c’est la construction d’un plus grand respect pour les langues, toutes les langues, au-delà des préjugés que l’on peut avoir. M.Oremland nous fait par exemple remarquer que nous avons en France des lycées internationaux qui mettent en avant les langues considérées comme « nobles », « prestigieuses », « utiles » - l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien -mais très peu de valorisation de l’arabe alors qu’il y a 3 millions d’arabophones en France (sans parler des langues plus minoritaires) ! Lorsque des classes viennent visiter le musée, les élèves sont invités à remplir un petit questionnaire en indiquant la langue qu’ils trouvent la plus jolie, la plus moche, la plus intéressante, etc. Bizarrement ce sont à peu près toujours les mêmes qui reviennent : l’allemand n’est pas beau à attendre, l’italien est chantant, etc. Pour revenir sur ces impressions, la visite insiste sur le nombre de langues qui existent et leurs diversités – lexicale, grammaticale, sonore et éventuellement sociales. Mark Oremland s’appuie pour cela sur les langues que parlent les élèves à la maison remarquant qu’il n’est pas rare que les enfants se surprennent entre eux.
Le but est simple : faire prendre conscience et donner toute sa place à cette diversité, belle pour elle-même, tout comme la diversité culturelle. « On peut tous avoir nos préférences » résume Mark, « on peut préférer les blondes ou les brunes », mais « tout le monde doit être traitée à égalité ». C’est la diversité qui fait l’intérêt du monde dans la langue comme dans la cuisine, « qui veut manger du McDo tous les jours ? ». La « petite goutte d’eau dans l’océan » apportée par Mundolingua voudrait bien contribuer à ce que les langues en danger aient plus de place pour exister, soient moins obligée de se replier.
Utile, la diversité ? A condition de faire des ponts
Nous nous risquons à soulever la question : au-delà de sa valeur essentielle, la diversité n’est-elle pas aussi utile, nécessaire ? Il ne faut pas longtemps à Mark Oremland pour dresser le parallèle avec la diversité biologique et ses potentiels usages, par exemple pour découvrir de nouveaux médicaments (il a d’ailleurs préparé une présentation à l’UNESCO sur ce sujet en février, (4)).
Pour lui cette analogie est très riche : peut-être qu’il y a des problèmes collectifs auxquels nous sommes confrontés qui sont insolubles dans la langue avec laquelle on essaye de les traiter mais ne le sont pas dans une autre langue qu’il faut prendre le temps de décortiquer, d’explorer. Avec ses visiteurs il utilise un exemple simple pour illustrer l’intérêt de la précision que peuvent avoir certaines langues comparées à d’autres dans certaines situations : « si, gagnant au loto, on doit se répartir le gain entre nous, comment délimite-t-on ce ‘nous’ ? ». Il est très flou en français ou en anglais mais peut être extrêmement précis dans d’autres idiomes.
En contrepoint de ces vertus de la diversité, certaines personnes défendent la thèse selon laquelle il serait plus pratique de tous avoir une même langue. C’est le rêve, un temps porté par l’Espéranto, dont l’anglais globalisé a pris le relai. Mundolingua considère qu’il est de sa mission de présenter aussi ce point de vue mais clairement n’y souscrit pas.
La variété n’empêche pas de faire des ponts, de permettre aux langues de communiquer entre elles sans se menacer. Il peut, par exemple, exister des « langues-frontières » ou « véhiculaires » (« lingua franca ») qui servent de base commune pour des échanges comme peut continuer à l’être l’anglais entre les provinces indiennes ou le français en Afrique de l’Ouest. L’équilibre est néanmoins subtil à trouver et les expériences ne manquent pas dans lesquelles une langue a fini par dominer puis fait disparaître l’autre. C’est un effort permanent.
(1) Voir d’autres interviews de M.Oremland http://blog.assimil.com/mundolingua-entretien-avec-mark-oremland/ ; https://marinettetupp.wordpress.com/2013/12/20/jai-teste-pour-vous-mundolingua/
(2) A noter, un tel musée a entre-temps existé pendant 6 ans aux Etats-Unis, de 2008 à 2014 mais a depuis fermé ses portes. M. Oremland espère une plus grande longévité pour Mundolingua qui cherche encore son équilibre économique.
(3) Voir également sur le sujet: “Un « Premier contact » bienvenu pour les langues“ sur The Conversation